Salle des Rancy, à Lyon, le 21 janvier 2010. Le temps qu’il embrasse ses amis, réponde aux sollicitations du public, signe quelques disques et finisse un ou deux verres, rencontre avec Allain Leprest, à sa sortie de scène.
 



Allain Leprest (photos DR)

Ça fait quelle impression un tel hommage par ces disques collectifs Chez Leprest ?
J’aurais trouvé prétentieux de le faire il y a encore une dizaine d’années même s’il y avait eu cette amorce déjà faite dans Nu, en 1998, à travers des contributions musicales d’amis comme Kent, Gilbert Laffaille ou Jacques Higelin. Il y a même eu Yves Duteil. L’idée a ensuite cheminée. J’éprouve une grande fierté, une grande émotion, de voir circuler ces chansons dans la bouche de ces artistes qui ont été, pour moi, un petit peu des déclencheurs de mon métier. Comme Adamo ou Hervé Vilard dont j’entendais chanter les chansons par ma mère, quand j’étais gamin. Sans vouloir les vieillir, il y a quand même une génération, peut-être un peu plus. Et il y a ces jeunes comme Clarika, Olivia ou Amélie-les-Crayons. Et la bande à Loïc, La Rue Kétanou. Et Anne Sylvestre.
 
C’est comme entrer dans La Pléiade, c’est le Charles-Cros puissance dix…
On a du mal à avoir du recul par rapport à ça ; la fierté, l’émotion que j’ai eu. Comment dire… C’est à partir, je crois, de la disparition de mes parents, il y a dix ans. De voir ce bonheur qu’ils m’ont fait partager avec leurs chansons, la chanson en général, ce passage de témoin que j’ai pris. Qu’on m’a donné aussi avec la génération qui monte, celle de mes enfants. De voir que ces chansons, finalement… Les chansons n’ont pas d’âge, pas de sexe. Ça peut paraître prétentieux mais c’est longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, qu’elles se transforment, qu’elles s’imbriquent. Je suis l’héritier de ; je passe quelque chose à ceux qui viennent derrière moi et je prends quelque chose à ce qui est devant moi. Il se trouve que ces chansons ont été marquées par ce que j’ai entendu dans mon passé. Parce que, finalement, la chanson est un peu le réceptacle de mon langage, de mes inquiétudes, ça m’a suivi sans que j’ai eu besoin de me forcer. C’est la chanson qui conduit en fait, elle impose par elle-même, de manière naturelle.
 
Une chanson a-t-elle un propriétaire ou court-elle dans les rues et peut être reprise par tout un chacun ?
Non, c’est bien évident que je revendique mon prisme, ce qui m’a construit une vie sociale et artistique. Mes chansons ont été baignées là-dedans. Il y est question souvent de mélancolie, de nostalgie, de retour : là je botte un peu sur l’enfance en ayant un pied, je l’espère, je le veux, profondément ancré dans le quotidien, le lien social. Parce que je suis aussi un citoyen, avec les inquiétudes que tout le monde peut avoir sur ce qui va nous arriver demain. Sans que la chanson ne soit un prétexte à ça, elle s’en ressent, évidemment. Il faut toujours se méfier de la scène-tribune et de la chanson éditoriale, qui servent à caresser les choses. Il vaut mieux toujours essayer d’avoir les choses par le doute plutôt que par les certitudes, les injonctions. C’est en ce sens que la chanson m’est plus proche… paroles hésitantes, paroles fragiles…
 
Nous parlions d’Adamo. Ça me semble tellement évident de reprendre L’olivier, de la part de quelqu’un qui a chanté Inch’Allah…
Ce n’est pas innocent dans le choix. Quand on a bouclé cette chanson pour la Cantate avec Romain, au vu de la possibilité de la reprendre sur ce disque, je me suis dit « C’est lui, c’est Adamo ». Je me suis pris le culot de le contacter, lui qui m’a tellement marqué, depuis l’adolescence, par cette vérité, son authenticité. Je le savais généreux. Et proche de ce film-là.
 
C’est toi qui a fait la distribution des chansons sur ce disque ?
Pour pas mal de chansons, oui. C’était délicat aussi. Moi qui ne suis pas parolier, c’est très difficile d’habiller Amélie-les-Crayons. Encore plus Anne Sylvestre (mais c’est elle qui a choisi cette chanson-là). Parce que j’écris avec une pogne de mec. Et que c’est difficile de savoir comment va fonctionner cette réflexion d’homme. On ne souffre probablement pas de l’amour de la même manière en étant un homme qu’en étant une femme. Ce mec qui attend le train de Bordeaux, dans une gare, peut-être n’est-il pas le même que Clarika, je veux dire qu’une femme qui attend son mec. Je ne sais pas, les fragilités sont peut être les mêmes mais y’en a un qui va mouiller son mouchoir, l’autre peut-être pas. Un va boire du rouge et l’autre sortir des kleenex.
 
Tu ne prenais aucun risque en confiant Sarment à Anne Sylvestre, chanson créée à l’origine pour Francesca Solleville…
On ne va pas faire de psychanalyse mais, au sujet des mères, y’a tellement de choses à dire, sur cet héritage. C’est ma mère qui m’a apporté beaucoup en chanson, elle qui chantonnait toujours à la maison. Chez Francesca, il s’est avéré ces choses-là aussi.
 
Inversons les choses, y-a-t’il des auteurs dont tu aimerais qu’ils te proposent des chansons ?
C’est arrivé. Ce n’est pas un refus systématique de ma part, mais c’est très difficile de se mettre dans la peau d’un autre. Et je comprends bien le beau métier d’interprète. Chez Reggiani, on arrive à dire « c’est une chanson de Reggiani ». Se couler à ce point dans la peau des gens… On dit « une chanson de Francesca », « une chanson d’Yves Montand », parce qu’ils se les sont appropriées à ce point-là. Tout occupé à écrire mes textes, je n’ai pas encore pris ce temps-là. Si, il y a eu Le Petit Ivry, d’Emmanuel Lods. Je vivais à Ivry et avais envie d’écrire une chanson sur cette ville. Quand j’ai entendu celle-là, je me suis dit que ce n’était pas la peine d’en écrire : elle existe ! Ceci dit je suis sacrément attentif, sacrément jaloux des fois, de cette jalousie qui motive quand on écoute une chanson superbe d’un ami, d’un collègue. Des chansons de Stéphane Cadé, par exemple, qui m’émeuvent formidablement. Il est d’une génération qui a encore du mal terrible à s’imposer, qui est d’une telle richesse pourtant.
Plus d’une fois il m’est arrivé de dire : quand j’aurai le temps, je voudrai faire un disque avec rien que des chansons qui m’ont marquées. Comme ça a été fait par Bertin et par d’autres. Un ami traduisait ça par un mot qui me plaît : « la rive oubliée ». La rive gauche, ce sont d’extraordinaires chansons. On a appelé ça ensuite la nouvelle chanson. Peu importe la terminologie, les casiers qu’on met dessus… De ces chansons magnifiques comme C’est un bistrot de Jean Sommer, Le mec qui pleure de Bernard Haillant, des chansons de Pierron et d’autres, que j’aimerai rassembler en un album pour leur donner tout mon brillant à moi, tout mon cœur. Et d’autres comme celles de cette étoile filante qu’est Matthieu Côte, de ses chansons qu’il ne faut pas qu’elles restent endormies.

 

C’est surprenant, dans ton récital, de constater la place énorme de chansons qui datent un peu. Il y a vingt ans, tu aurais presque pu faire le même.
Y’avait quand même ce soir Les Tilleuls, les Banquises et quelques autres… Quand on commence à s’installer, on s’aperçoit qu’il y a des chansons qu’on n’avait pas eu la possibilité de défendre avant. Et qui n’ont pas été connues du public, un peu plus important, que j’ai aujourd’hui. J’essaye donc de leur donner leur chance. Il y a celles-ci et le fait que des chansons auxquelles je tiens et que je sais, de toutes façons, qu’on me demandera. Je suis obligé de les faire. Les nouvelles chansons, c’est difficile de les introduire au fur et à mesure. Aznavour ou Leprest, on réclame toujours les anciennes. L’artiste est souvent piégé dans cette affaire. Mais j’ai le sentiment de changer, là. Je vais entrer en résidence pour vraiment travailler à la manière d’intégrer des chansons très intéressantes. Ça urge, avant le Casino de Paris du 8 mars. C’est le gros truc, avec les artistes du deuxième album. Depuis l’Olympia de 1995, c’est vraiment le grand retour. Y’a eu le Bataclan, l’Alhambra, là le Casino. J’attends. Chaque moment c’est comme ça que je le vis ça me surprend. J’ai ni le temps d’être aigri ni celui d’être impatient.
 
Sur la vie de cette Cantate pour un cœur bleu…
J’échappe complètement à ces productions. Sauf que j’ai été le premier lecteur quand la Cantate s’est joué, parce que Jean-Louis Trintignant était malade à l’époque. Il va mieux, tant qu’il m’a téléphoné récemment pour me demander des textes car il va remonter un spectacle sur les poètes libertaires. Il me classe avec eux, Prévert et d’autres. Il m’a fait cette émotion de me réclamer des textes.
 
D’autres projets après le Casino ?
Sortir, si on en a envie, un volume 3 de Chez Leprest pour clore et y mettre des gens, on ne va pas citer de noms, que j’aurais aimé qu’ils participent. Des gens qu’on aimerait bien faire connaître et des locomotives de poids pour tirer tout ça. Car je ne suis pas une locomotive et ne peux les tirer tout seul. Si je fais un disque tout seul avec mes amis pas connus, on court à l’échec.
 
Les problèmes de santé sont complètement éloignés ?
Oui. Les toubibs m’ont dit « Tu n’es pas guéri mais tu n’es plus malade ».
 
Sauvé des eaux ?
Oui.




































































 



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