Loïc Lantoine : interview pour la sortie de J'ai changé
 
 
 
Loïc Lantoine est un ovni dans le paysage de la chanson française. Cela fait longtemps que je voulais le rencontrer. Ses textes faits de sombres pensées et de tendre humanité me touchent au plus haut point. Je ne suis pas le seul, je sais. Ses mots traînent beaucoup d'entre nous jusque dans les tréfonds de nos conneries et de notre folie. Poète de notre temps, conteur d'un autre temps, l’homme n’est pas fan des interviews. Mais son attachée de  presse, la très efficace Sissi Kessaï, fait en sorte de lui faire faire de la (bonne) promo à l’occasion de la sortie de son nouvel album J’ai changé. Une rencontre mandorienne était donc une évidence (surtout pour moi). Le 24 avril dernier, nous nous sommes retrouvés dans un café (mais devant une bière. Non, deux ou trois, je ne sais plus bien).

 
 

Biographie par Philippe Barbot (pardon à lui, mais nettement raccourcie) :
 
Déjà presque dix ans que le loustic Lantoine fait tanguer la langue, chavirer la rime et culbuter les strophes. Avec son complice et alter-égal François Pierron, le chantre de la chanson pas chantée a baroudé de bars en gîtes, de clubs en bouges avec une inaltérable constance et trois albums sous les aisselles : Badaboum , premier essai tapageur en 2004, suivi de Tout est calme deux ans après et du live À l'attaque , en 2008, ont forgé sa réputation de poète routard déglinguant les conventions littéraires et musicales avec un bagout et une pépie dignes d'un Bukowski ch'timi ou d'un Tom Waits nordiste. Loïc Lantoine est revenu. Il a changé, mais pas trop. Juste ce qu'il faut. En mieux. Il a changé. C'est du moins ce qu'il prétend dans le titre de ce nouvel album, aux chansons rodées comme d'habitude sur scène, pendant deux années de tournée. C'est vrai, y'a du nouveau dans cet album. Si l'on y retrouve la familière diction rocailleuse et les singuliers sonnets en vers et contre tous, on ne peut pas ne pas remarquer que le champion de la chanson chahutée s'est mis à... chanter. Loïc Lantoine le duo est devenu Loïc Lantoine le gang. Pour souder cet éclectique club des cinq, il fallait un lien, un regard extérieur, un arrangeur ni trop arrangeant ni trop dérangé : Daniel Yvinec, musicien maestro et directeur de l'Orchestre National de Jazz, a signé une réalisation à la fois dense et précise.
 
 
 Interview :
 


Tes nouvelles chansons bénéficient de nouveaux musiciens. Elles sont donc plus musclées que d’habitude.
 
Ça s’est fait naturellement. Avec François Pierron, à la sortie du deuxième album, on tournait avec deux personnes supplémentaires, mais qui changeaient souvent. Parmi ces gens-là, il y avait Éric Philippon et Joseph Doherty. On a eu l’envie de figer les choses, alors on leur a demandé s’ils voulaient créer des nouvelles chansons à quatre. Ils ont dit oui. On était content. Thomas Fiancette est arrivé en renfort à la batterie un peu après. Nous voilà cinq maintenant. Mais rien n’était prémédité.
 
Du coup, vous avez créé pas mal de chansons, tous ensemble, en résidence.
 
Il y avait quelques textes qui préexistaient, mais je prends de plus en plus de plaisir à écrire en compagnie des musiciens. Ils sont en train de répéter, il m’arrive de les arrêter sur quelque chose qui me touche, ils restent un peu dessus. Une fois que j’ai accroché quelques vers, que je vois où je pourrais aller, je vais m’isoler, je termine la chanson et je leur fait écouter. On essaie de trucs. Parfois même la musique change complètement parce qu’ils ont trouvé autre chose… Ce n’est pas très réfléchi tout ça. Les trois quarts de ces chansons ont été écrits en leur compagnie.
 
Tu n’es donc pas un solitaire dans la création.
 
J’ai commencé comme ça, vraiment tout seul, et maintenant, beaucoup moins. Mes musiciens trainent d’autres émotions, d’autres sensibilités et ça m’ouvre l’esprit. J’ai tendance à penser que les chansons ne m’appartiennent pas, donc je trouve ça bien d’être influencé par d’autres. Ça donne des chansons plus riches.
 
De plus, ce qui est bien, c’est que tes musiciens ont vraiment des influences musicales différentes les unes des autres.
 
Joseph, c’est un irlandais qui jouait dans Son of the Desert. Il vient du rock pur et dur. Éric, dit « Fil », c’était le guitariste de la Tordue. Quant à Thomas, autant il va s’éclater à jouer de la batterie sur de la valse musette que sur du rock qui tache. Et François, c’est mon compagnon et contrebassiste de toujours… Ils auraient pu jouer n’importe quoi, je les ai choisis aussi pour leur côté humain. L’important, ce sont les bonshommes avant tout.
 
 

 
Clip de "Je ferme". Réalisation : Laurent Benhamou.
 
J’ai souvent lu que par rapport à ta musique et à ta voix, tu n’étais pas sûr de toi.
 
Je ne suis pas sûr de moi en général. Pour ma coupe de cheveux, comme pour mon pull ou pour mon chant. J’ai du mal à me revendiquer comme chanteur. Ca me fait toujours marrer parce que j’ai l’impression que c’est un malentendu gigantesque.
 
Tu as un public nombreux depuis des années.
 
Il n’est pas si nombreux que tu le dis, mais il est fidèle et varié et ça, ça nous fait plaisir. Il y a des gens qui nous ont découverts par le biais de la chanson traditionnelle et, avec le temps, des gens sont arrivés par d’autres entrées. Parce qu’on joue aussi du rock, monsieur !
 
Après les concerts, tu aimes bien parler avec ton public.
 
De moins en moins. Je suis un peu gêné parfois. C’est compliqué, j’ai autant de mal à recevoir les compliments que les insultes. Quand on me dit des choses très gentilles, je ne sais jamais quoi répondre et j’ai les mains qui deviennent moites. Je n’aime pas avoir les mains moites.
 
C’est une forme de timidité.
 
Oui. D’ailleurs, c’est marrant dans ce boulot le nombre de gens timides. J’ai un peu réfléchi là-dessus, ce n’est pas une histoire de thérapie. La timidité doit être une qualité parce qu’elle permet d’avoir de la pudeur. Les gens qui sont un peu plus tête brulée sont sans doute plus « évident ». C’est pour ça que ça marche un peu mieux pour les gens un peu torturés.
 
Pourtant, chanteur, c’est quand même un métier sacrément impudique.
 
C’est justement quand on est dans le paradoxe qu’une certaine richesse arrive. C’est un métier qui est complètement aberrant, il ne faut pas faire ça. Quand tu es timide, dire à des gens « taisez-vous, c’est moi qui parle », c’est absolument n’importe quoi.
 
Y a-t-il deux Loïc Lantoine. Celui qui est sur scène et celui qui est dans la vie ?
 
Disons que celui qui est sur scène est une caricature de celui qui traine ses guêtres dans la vie. Je ne pense pas que l’on puisse réellement me connaître à travers ce que l’on voit de moi sur scène. Tous les traits sont là, mais j’exagère tout. Je suis bien plus quelconque que ce que je peux donner à voir. Je ne me réveille pas tous les matins en faisant une déclaration d’amour infernale à ma femme, par exemple (rires).
 
Tu as testé tes nouvelles chansons sur scène avant de les enregistrer. Pourquoi ?
 
C’est un rapport qui s’est inversé. La logique voudrait qu’on enregistre des chansons et après qu’on les tourne. C’est bien beau d’imaginer comment on va assumer une chanson devant les gens, mais tant qu’on ne l’a pas fait, on ne sait pas ce que ça va donner. Ce qu’on a « boxé » en studio, sur scène, on s’aperçoit que ça passe mieux en douceur. Parfois l’inverse, on a envie de muscler une chanson qu’on a enregistrée trop cul-cul. On ne sait jamais comment on investit une chanson, alors je trouve que roder une chanson avant de la graver est un bon procédé.
 
Ce n’est donc pas pour voir la réaction du public ?
 
Non, c’est juste pour voir comment on assume les chansons. Il faut être un peu schizo dans ce métier. Quand j’écris, j’essaie de me plaire en tant que public potentiel. Si je dois commencer à prendre la température des goûts des gens, je suis mort. Je fais des chansons pour le Modem après.
 
Tiède. Milieu quoi !
 
Voilà.
 
Tu ne te censures jamais ?
 
Je ne m’interdis rien dans la chanson. Mais il y a une petite alarme intérieure qui clignote parfois. Surtout sur les intertextes, parce qu’il m’arrive de sortir de grosses conneries sur scène. Je suis là pour faire passer un bon moment aux gens, alors souvent, je vais à fond. Parfois trop, mais les gens aiment quand même bien déconner. Moi aussi.
 
 
 
Chanter des nouvelles chansons à un public, ça doit faire un peu peur.
 
On a créé ce nouveau spectacle à Évreux. Il y avait 17 nouvelles chansons et on les a toutes jouées. Je n’étais vraiment pas à l’aise. J’étais en panique même. Quand on a joué une chanson 30 fois, on est quand même plus à l’aise dedans. Tout est une question de rodage.
 

Pour les amateurs de chansons françaises dites traditionnelles, tu es une très grosse référence. Un peu à l’instar d’un Allain Leprest (mon hommage mandorien ici).
 
Leprest, c’est mon papa de métier, c’est lui qui m’a mis un peu le pied à l’étrier. Mon entrée dans le boulot c’était de coécrire avec Allain des chansons pour le chanteur Jehan. C’était pour moi hallucinant parce qu’ils étaient mes deux artistes français préférés, chacun dans leur domaine. Avec Allain, on s’est côtoyé jusqu’à sa mort.
 
Tu n’aimes pas du tout les comparaisons avec d’autres artistes.
 
Je ne comprends pas pourquoi on me compare à Allain Leprest. Léo Ferré aussi revient beaucoup. Peut-être parce que je fais des phrases trop longue. Arno, à la limite, là je comprends parce que j’ai une voix de fumeur, mais c’est tout. Je suis beaucoup moins connu que ces artistes-là en tout cas. C’est pour ça que je continue ce qu’on fait là.
 
La promo ?
 
Oui. Ce n’est pas un truc qui m’est très agréable. Je n’aime pas parler de moi. Mais l’idée de donner la possibilité au plus grand nombre de gens de me connaître m’intéresse. Après, ils feront le choix de m’écouter ou pas. Je joue le jeu des interviews, mais, encore une fois, ce n’est pas très agréable. (Il me regarde, se demande si je suis vexé, puis ajoute). Non, mais avec toi, ce n’est pas pareil…
 
Je sais très bien qu’il y a des artistes que je vais emmerder. Je sais très bien que tu n’es pas hyper fan des interviews, mais je m’en fous, je viens quand même parce que j’ai envie de te connaître. C’est égoïste de ma part,  je le sais bien.
 
Non, mais j’ai besoin de communiquer sur mon travail, mais je préférerais boire un coup avec toi, sans micro. Tu vois ce que je veux dire.
 
Dans chaque album, ce sont souvent les mêmes thèmes. L’amitié, l’amour, un bar qui se ferme… L’œuvre de Loïc Lantoine, c’est toujours pareil sauf que c’est jamais pareil.
 
Tu as raison. Je ne sais pas de quoi parler si ce n’est de ces choses-là. J’ai de l’admiration pour les gens qui sont capables de raconter des petites histoires surréalistes. Je trouve quelques chansons de Thomas Fersen très réussies et complètement dingues. Il invente des mondes, moi j’en suis bien incapable. Quand il raconte l’histoire d’une bille qui tombe des escaliers, je le trouve très très fort. Avec moi, la bille, elle rencontre un copain dans l’escalier. Ils vont au bar d’à côté boire un coup, mais le bar il est fermé (rires).
 
Ce qui compte plus que tout pour toi, c’est l’émotion qui se dégage d’une chanson.
 
Oui. Les émotions fortes. De mes chansons, il faut que se dégage de la colère, de la tendresse, de la nostalgie, de la fraternité, l’amour fou, une musique, un instant, une idée qui va me mettre en branle. Je veux faire naitre des émotions variées chez les gens. On est fabriqué pour vibrer. Une chanson n’est jamais belle. Si la personne qui l’écoute ressent de belles choses, c’est cette personne qui est belle. La chanson, on s’en fout.
 
 
 Après l'interview, le 24 avril 2013, dans un café parisien.





















 



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