Dans un jargon bien de chez nous, on parle souvent, de façon condescendante et donc péjorative, de la chanson "à texte". Censée être l'antithèse de la chanson "à voix", celle qui fait les beaux (?) soirs des plateaux télé-crochets style Nouvelle Voice Academy. La chanson "à texte" désigne ce genre typiquement français qui est censé privilégié le sens sur les sens, les paroles sur la mélodie, et qui revendique une qualité littéraire que ne possèdent pas les chansons dites "de variétés". Sous entendu, c'est beau mais chiant, la chanson "à texte". C'est rien qu'un truc de poètes, de rimailleurs qui se la pètent avec des phrases compliquées et des strophes grandiloquentes qu'on a envie ni d'apprendre par cœur ni de reprendre en chœur.
Une idée reçue qui date sans doute de Brassens (dont les mélodies sont pourtant aussi complexes que la langue), s'est poursuivie un temps sous le terme de "chanson rive gauche" et désigne aujourd'hui à peu près tout ce qu'on ne voit jamais à la télé et qu'on entend rarement à la radio (Hubert Félix Thiéfaine excepté, mais depuis peu…).
Cette semaine, en cette époque sans queues ni textes, voilà que sont publiés simultanément deux albums qui devraient enchanter les amateurs des deux genres (à voix et à texte) et prouver qu'une chanson qui raconte quelque chose c'est quand même mieux qu'une rengaine qui se la raconte. Deux artistes qui n'appartiennent ni à la même génération ni à la même école, mais qui sont capables tous deux de provoquer joie et émotion, tendresse et frisson.
A ma droite, historique, incontournable, inamovible et essentiel, Jacques Higelin, dit Jacquot ou le Grand Jacques, dont l'album "Beau Repaire" représente sans doute la quintessence d'une carrière qui vagabonde depuis déjà plus de quarante ans. A la fois clown et magicien, équilibriste et virtuose, grand fou et éternel amoureux.
A ma gauche, dépenaillé et échevelé, rauque et ravi, Loïc Lantoine, dont les "chansons pas chantées", ni rap ni slam, tonnent et vitupèrent depuis déjà quatre albums. Son disque s'intitule "J'ai changé" et, croyez moi, ça change du ronron aseptisé de la routine chansonnière, des sentiers rebattus et des autoroutes soporifiques.
Jacques et Loïc, Higelin et Lantoine, deux obsédés textuels, deux héros de la voltige lyrique et des émois héroïques. Deux ludions précieux, deux histrions rares. A aimer et protéger