Allain Leprest
sur Radio Clapas
Avril 2000
 
 
Emission de Radio Clapas (associative) à
Montpellier (nuit du 21 au 22 avril) 2001
Suite au concert d’Allain Leprest donné le 21 avril
au théâtre Jean Vilar à Montpellier, organisé par
l’association « L’Acte Chanson »
(Jean Louis Beydon au piano, Philippe Leygnac
aux percussions, trompette, accordéon , synthé….)
Cette émission très tardive (jusqu’à 4h du matin dans
la nuit du 21 au 22 avril) regroupe Claude Frigara,
animateur radio, écrivain, vieille connaissance
d’Allain, Julien Heurtebise ( alias Fabrice
Plaquevent ou le contraire
le ..... compagnon des premiers
pas sur scène du poète, et qui faisait la première
partie de ce concert, intervient également
pour apporter son point de vue musical
)
et…. Allain Leprest)



Retranscription de l'interview
 
Claude Frigara ( CF) : Ce qui m’intéresse, ce que j’aimerais bien que tu redécouvres , peut être, c’est ce texte,
regarde là, le texte à gauche.. celui là…
Allain Leprest (AL) : Ah oui, je pense qu’il a été mis en musique par Etienne Goupil.. tu veux que je le lise ?
CF : Ah ouais !
AL : « Qui c’est ce mec » : ( NDLR : Le texte lu par Allain est reproduit dans ce tome 1, vers la vingtième
page)…. Putain , il était compliqué ce mec, non ?
CF : Mais ce mec, il chantait depuis très peu et il écrivait déjà…
AL : Ouais, j’aimais bien, et puis c’est la rencontre avec cette possibilité d’écriture que nous offrait une équipe
menée par François Creignou à Rouen.. et d’autres poètes. Je trouvais ça intéressant .. Aujourd’hui renaissent ces
lieux là avec les ateliers d’écriture, et je trouve ça bien. On disait « La poésie est morte ! ». En fait, elle ne l’est pas
tant que ça, parce qu’il y a une demande, il y a … L’atelier d’Ivry est là, que j’anime, qu’on co-anime, plus
exactement, je préfère dire ça, ben il rassemble, bon an mal an, tous les mercredis, une vingtaine de personnes. Et
c’est que ce que l’on avait fait à cette époque je pense, il y a vingt ans non ?… et bien on se faisait pas « chier » à
écrire de la poésie, on n’avait pas honte de faire de la poésie, on rigolait quoi.. et le mot nous prête à ça enfin quoi !
Moi je pense, maintenant, puisqu’on parlait d’émotion,.. relire ça.. euh maintenant s’il y avait à le réécrire.. je le
trouve très bavard ce texte, je trouve qu’il faudrait qu’il soit un peu plus concis mais, euh, c’était plutôt une poésie,
mais une poésie bavarde. La chanson mène à un peu plus rassembler toutes ces idées là, je trouve que le freluquet
de 20 ans, il était peut être un peu doué, mais je trouve.. J’y mettrais p’têtre un bon 13/20, ce ne serait pas mal.
CF : Quand tu écrivais déjà, je dis déjà.. « Puisque tu es au bout, puisque toi même cours à ta rencontre, de soir en soir tu te
rejoins »..c’est pas la vie là que tu mènes en ce moment ? Et depuis pas mal de temps ?
AL : Ben figure toi, il y a un truc curieux parce que..
CF : Ta vie de chanteur ? Ta vie de chanteur ?
AL : Non, mais en le lisant, effectivement je pressentais que tu allais me poser la question, et au fur et à mesure que je le
lisais, j’étais un petit peu ému, parce que je pensais à ce freluquet précisément dont je parlais, qui se retrouve aujourd’hui
naturellement 25 ans après.. c’est un peu ça. ! Avec une envie non vieillie ..je suis toujours aussi bavard, mais on a envie
d’être concis un peu. Je n’exprimerais plus les choses de la même manière, mais je me retrouve quand même dans c’t’affaire
là ! Et puis il faut dire, oui, c’est l’histoire de hautes amitiés quoi, ça ‘appelle « Haut les mains »…
CF : Regarde ce document, il y avait des gens, tu vois là… Roger Balavoine…
AL : Ouais extraordinaire , Roger Balavoine, c’est celui auprès duquel on courrait lire les lignes quand « Paris-Normandie »
était encore un bon journal à Rouen, où il y avait toute une page culturelle je veux dire, on courrait ! C’est un type qui nous
aidait je vais dire… je vois Luis Porquet..
CF : Christian Rivaud ?
AL: Oui Christian Rivaud, je vois Christian Canal… qu’est ce qu’il dit le journal, je vois.. on a la chance d’être là avec
Julien Heurtebise, euh Fabrice Plaquevent, qu’est ce qu’il disait Raymond Canal ?
Julien Heurtebise (alias Fabrice Plaquevent, ou le contraire) : JH : « Que c’était le plus grand poète de son immeuble,
puisqu’il mesurait près d’un mètre quatre vingt, et que personne ne pouvait monter plus haut que lui, puis qu’il habitait au
dernier étage » … et là regarde, Daniel Fleury peut être ?
AL : Oui , Daniel Fleury.. et là Jeff, c’est le fils de François Creignou ? Daniel Fleury c’était le directeur du « Havre
libre »… oui c’est très émouvant ces archives, c’est joli, illustrations de Rémi Parement , qui travaille à « Paris-
Normandie » aujourd’hui je crois, Joe Doutrelot évidemment ! Ah oui c’est vachement chouette là !
CF : Tu ne l’as pas perdu ce numéro Allain, ou tu l’as dans tes archives ?
AL : Bah, je l’ai perdu, c’est .. non on a fait pas mal de déménagements je dois dire, et puis…
CF : Bon je t’ai amené là, parce que je pense aussi que.. c’est beaucoup plus récent, c’est
une compil, et ça j’en ai plusieurs exemplaires, donc ce sera un immense bonheur de te
l’offrir..
AL : Je ne l’ai jamais vue…
CF : Et il y a un autre texte de toi, c’est une compil hein enfin, une récapitulation des…
AL : Je vois que tu as mis un petit signet, tu vas encore me piéger !
CF : parce que là c’est celui que tu viens de lire (Qui c’est ce mec ?), avec une
illustration.. Il y a un autre texte, je n’ose espérer que tu nous le lise, on ne sait jamais, à
cette heure avancée de la nuit, cette heure pâle. Parce que j’ai retenu un autre texte
simplement quelque chose qui me paraît très percutant par rapport à ce que tu es depuis,
parce que c’est un texte qui est aussi un petit peu ancien.. où tu dis « Je m’entre-tue à
vivre… »
AL : Oh, c’est de paroles d’adolescent ça, c’est des conneries. Je ne pense pas que ce seraient des choses que je dirais
aujourd’hui. En fait , j’ai passé l’age d’être suicidaire. On fait des formules quand on a 20 ans quoi, et puis après on construit
en fait. J’ai construit, ou plutôt j’ai été élevé par deux enfants , maintenant qui ont 22 ans et 19 ans aujourd’hui. J’aime bien
tanguer, mais pas du coté de l’eau quoi, de l’autre coté, du coté de la vie etc… J’ai une réputation sulfureuse, mais en fait je
ne le suis pas du tout, c’est de la frime un peu . Et puis je ne conseille à personne de suivre… on l’a tous fait quand on a 20
ans.. avec Fabrice et moi on traversait la ville, on passait les feux rouges, on s’en foutait ! Et puis avec le recul, on se dit que
c’est vraiment des conneries, non, vaut mieux avoir notre age , tousser peut être un peu le matin, avoir des petits chagrins, des
petits bobos, et puis en définitive continuer de vivre et faire plaisir à ceux qui nous souhaitent de vivre le plus longtemps
possible, d’être aux cotés d’eux quoi…
Là, je regarde dans cet ouvrage, là, je vais encore dire des conneries, j’essaie de faire l’intelligent, ça m’énerve.. aux Editions
Médianes, Le nouveau Gong, une histoire sans fin, page 105.., c’est une compilation….
JH : Les Editions Médianes, tu te rappelles, c’était Jean Marie Tiercelin aussi…
AL : Je vois une illustration d’Alain Michel Bouchet aux cotés du texte que je viens de dire là., ça me fait plaisir , parce que
c’est titré « Lettre de Monsieur Duval à Monsieur Lecanuet ». Et c’était tout à fait l’époque dont on parle. Et Duval je l’ai
connu, c’était un… - pour expliquer bien, Alain Michel Bouchet ,ça a été mon beauf et c’est resté mon ami - .. le père
Duval, c’était un clochard lunaire de Rouen. Je ne sais pas s’il est toujours de ce monde, mais il sillonnait la ville, avec sa
vieille barbichette, il montait sur Mont Saint Aignan de temps en temps, récupéré par Didier Dervaux par exemple, qui
s’occupait des clochards… c ‘est marrant. Oui parce qu’il n’était pas analphabète Duval, il était très… dans ce dessin là, c’est
très difficile de raconter à la radio, mais je pense qu’Alain Michel Bouchet a imaginé une écriture un peu illettrée, c’était un
peu les rêves. C’était un type qui avait été broyé par la guerre d’Algérie, et puis il y avait perdu un peu la tête. Alors il invite
et il invente à la fois un alphabet bizarre. Enfin c’est un mec qui vivait dans un alphabet bizarre.
CF : Et il y a un autre texte qui… Il y a un autre texte d’Allain Leprest alors évidemment…
AL : Non, non ! Je veux pas, je peux pas ! D’abord il est trop long, je m’en souviens.. Je le trouve pompier, je m’en rappelle
parce que j’avais un peu réfléchi à la question que tu risquais de me poser. C’était une époque, j’étais très « hugolâtre », alors
je faisais des alexandrins un peu pompieux, pompeux, et alors ça donne à peu près ça. Je vais peut être quand même lire le
premier quatrain, et les auditeurs vont se rendre compte à quel point j’étais prétentieux à cette époque :

Quelle heure de quel jour de quelle année est-il?
La lézarde au mur à l'âge que mes poings ont
J'extirpe de sa plaie les bribes des saisons
L'insulte de la grive au merle à flanc de tuile
Une odeur simple de gazon ...

Non ça c’était… à la limite je ne renie pas, je me moque de moi, comme je me moquerais d’un fils qui aurait mon age, à
l’époque où j’écris ça. Parce que c’était la volonté de simplement faire des rimes quoi . Et en fait, faire des rimes c’est très beau,
mais il ne faut pas qu’elles « sentent » trop quoi, il faut que le sens y soit. Je regarde un peu ce texte et je ne veux pas en affliger
« les oreilles de la radio », parce que franchement !... Je vais lire la dernière strophe simplement par ce qu’il y en a 1, 2, 3…11 :
il y en a 11 du même tonneau, et la dernière ça ne s’arrange pas !
Le vent qu'il fait dehors est un soupir d'enfant
Ce vent muet que fait le peintre sur sa toile
Et ne viendra jamais féconder une voile
Mais ici en ces murs le vide tousse un vent
A défenestrer les étoiles
Enfin bon, c’est beau… enfin c’est beau ? .. je ne veux pas fanfaronner, mais ça ressemble plus à un exercice de style ou à un
galop de jeune poulain qui essaie de maîtriser ses gammes dans la vie… j’aime bien le premier par contre.
CF : Maintenant que tu écris, quelle place prend la mise en forme ? Est ce que c’est automatiquement réglé, c’est à dire que tu
n’écris plus d’alexandrins ?
AL : Non je n’ai rien contre l’alexandrin mais je dis , d’ailleurs c’ est difficile - j’aimerais bien en faire- mais il a très peu de
place dans la chanson, à part Lavilliers etc.. et certains qui arrivent à bien le manier, Colette Magny qui a très bien chanté
l’alexandrin… mais attends , Fabrice me retient par le bras , il va me dire…
LH : Je ne suis pas d’accord…
AL : … mais c’est mon opinion, je veux dire que l’alexandrin ampoulé alourdit, alors qu’il est très beau à lire, à lire en silence
quoi. La musique, avec les pas, c’est plus lourd.. Lamartine ou Musset et tout, j’arrive à les lire. Ils sont immettables en
musique…
CF : Parce qu’à l’époque tu ne pensais pas en musique ? Ou peu ? Maintenant tu écris peu de musiques, mais tu en écris. Quand
tu écris, tu as des musiques en tête inévitablement, alors est ce que cela ne modifie pas ta manière d’écrire, par rapport à la
métrique et tout ça ? Alors qu’à l’époque tu n’avais pas ces soucis là peut être ?
AL : J’avais pas une musique dans la tête, j’avais un rythme dans la tête, et puis de toute façon –Fabrice le sait très bien- je suis
un piètre compositeur, un piètre mélodiste en tous cas, et je m’en suis très vite débarrassé de ces contraintes là, enfin de cette
prétention là. Mais en fait, quand on travaille sur un rythme, moi, ça me pèse l’alexandrin, il faut qu’il soit léger, il faut qu’on l
‘observe, par qu’on l’observe « travailler » . Bon évidemment, j’étais sûr que Fabrice allait citer Aragon, ,il va nous le faire,
bon je vais le laisser parler….
JH : Ce n’est pas pour ça que j’ai réagi ! Non, juste un tout petit truc, tu as dit une phrase que je ne peux accepter… tu as dit
« L’alexandrin est très difficile à mettre en musique », et ça je ne peux pas l’accepter, parce que justement l’alexandrin c’est ce
qu’il y a de plus pratique à mettre en musique pour une raison simple c’est que : étant composé d’un vers de 12 pieds, tu le
mets aussi bien sur un rythme ternaire, que sur un rythme binaire, donc tu peux faire ce que tu veux de l’alexandrin, c’est ce
qu’il y a de plus facile à mettre en musique, vraiment. Et il y a quelqu’un qui a dit récemment que j’écris en alexandrins, c’était
une mauvaise observation de sa part, j’écris beaucoup en hexasyllabes, c’est à dire que je fais systématiquement une rime à
l’hémistiche, mais ça revient quand même à être des alexandrins, un nombre pair d’hexasyllabes.. Et c’est ce qu’il y a de plus
pratique à mettre en musique, parce que tu en fais ce que tu veux.. tu fais du 2 temps, tu fais du 3 temps, tu fais du 4 temps, tu
fais du 6/8, tu fais du 12/8, tu fais vraiment le rythme que tu veux en musique avec.. Voilà, c’est juste pour ça que je te disais
que je ne suis pas d’accord….
AL : Non je me moquais de moi même, parce que je disais comme ça que la manière d’écrire que j’avais à cette époque, elle
ressemblait furieusement à des espèces de fausses copies, d’ « hugolâtre » quoi, comme je le disais….
JH : Je cite juste un truc : les deux premiers textes que tu m’as montrés, et Dieu sait qu’on était pas bien vieux à l’époque
effectivement, il y en a un de ces deux qui s’appelait… tu te souviens ?
AL : Oh, je sais pas, mais à l’époque j’écrivais des éloges à Napoléon alors !!!!
JH : Il y en avait un qui s’appelait « Oceano vox », ça ne vous rappelle rien ?
AL : Bien vu ! Par contre, on peut dire, et là je vais aller dans ton sens…. Parce que je suis très circonspect par rapport au rap
par exemple, qu’aiment beaucoup mes enfants et les jeunes qui tournent autour et qu’on rencontre.. Des fois je leur dis « Mais,
vous n’avez rien inventé, parce que le rap n’est jamais que de l’alexandrin. Ce sont des alexandrins pour la plupart pauvres. Je
ne dis pas ça pour la totalité, parce qu’il y a de très bon rappeurs , qui apportent des choses, qui apportent du sens au texte , et de
la forme à la fois… Mais d’une manière générale quand tu dis aux jeunes ( scandé sur le rythme rap), « Oh combien de marins
/ combien de capitaines / qui sont partis joyeux / vers des courses lointaines »… La plupart des raps tournent autour de
l’alexandrin, c’est vrai ça, mais tu sais, c’est comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les rappeurs font
de l’alexandrin sans le savoir…
CF : Je vois écrit là, je reconnais ton écriture, il n’y a pas un mot de trop , c’est cette extrême concision, avec souvent des
instantanés , des images fluantes… Est ce que l’alexandrin n’est pas un excès de mots, un excès d’idées aussi, un excès
d’images ou un excès de vide, un excès de bavardage quoi ?
AL : Il conduit à ça, mais c’est vrai, que, je parlais d’Aragon tout à l’heure, on ne le sent pas du tout chez lui .. mais c’est vrai
que c’est une tentation « d’élargir ». Mais bon, .. tout le monde n’est pas bon ?
CF : C’est intéressant parfois de t’entendre parler d’Aragon, ce n’est pas surprenant par rapport à une « famille », mais on n’a
pas souvent l’occasion de t’entendre parler d’Aragon. Est ce qu’il y a des poèmes ou des mises en musique qui t’intéresseraient
pour les reprendre ? Ce n’est pas ce que tu fais en général, les reprises, mais bon !
AL : Ah si, euh non, les reprises.. parce que je me sens déjà assez mal à l’aise, je vais te dire, à apprendre, à lire derrières mes
propres ratures, des fois,… j’ai peur. C’est surtout un excès d’humilité, et puis l’excès d’humilité , ça peut aussi être de la
prétention, alors je ne sais pas, moi . Je ne vais pas m’étendre là dessus, mais de dire qu’Aragon nous a tous marqués…. On fait
tous partie d’une génération où Aragon nous a apporté un espèce de souffle poétique. Grâce à ce Ferré que tu aimes bien, à
des Jean Ferrat, enfin à bien d’autres aussi, Hélène Martin, Jacques Marchais et d’autres, bon, et te dire ,oui Ferré, oui tous
ceux là ,mais c’est surtout Aragon. C’est Aragon qui les a presque appris à chanter, à danser. On revient encore à cela , je me
contredis complètement, parce que je disais bon, l’ alexandrin est lourd, mais c’est l’alexandrin du XIX°siècle qui est
immettable en musique. Quand Brassens a mis Hugo en musique, il l’a mis en octo, en octosyllabes, en vers de 8, je ne veux
pas être trop technique parce que je ne le suis pas tellement en fait, mais rarement sur des alexandrins, par contre il s’est
embarqué sur des vers d’Aragon de 12, et Ferré, et tout le monde, parce qu’Aragon a été léger quoi, il a libéré l’alexandrin,
moi je pense. Mais la poésie n’est pas affaire de métrique, là on est en train de parler technique, et il ne faut pas qu’on « sente ».
Pour oublier que la poésie se pose en forme de vers, il faut que les « poses » oublient. Je vais citer la fameuse phrase de Léo
Ferré « Les poètes qui comptent sur leurs doigts, ne sont pas des poètes mais des dactylographes » Effectivement et il y en a
trop qui l’oublient quoi !
CF : Et ce jeune homme que tu étais en 76/78 , il avait des soucis de métrique comme ça ? Par rapport à aujourd’hui, moi qui
t’ai connu un peu, je pense que t’avais déjà pris ton envol. L’écriture c’était quelque chose qui devait sortir, mais ça n’empêche
qu’il fallait partir par la résolution de la forme quoi , il fallait bien….
AL : Du sens ! D’abord est venue la forme, et puis après le sens. L’effet d’abord, moi j’aimais bien faire des effets. Finalement
les premiers poèmes qu’on écrit , c’est pour épater son copain ou sa petite copine quoi ! Et quand on sent qu’on est fait pour ça,
le piège c’est de faire le beau, quoi, de faire le paon quoi ! Au début , probablement, c’est pour ça que j’ai évité de le lire ce
texte là, je pense bien qu’il doit y avoir quelques phrases sensées.. mais. Non je pense qu’en matière de poésie, il vaut mieux
rater une rime pour avoir un sens, plutôt que de la réussir, et que ça sente la pacotille ou quelque chose comme ça. Mon travail,
c’est vrai, consiste à être « serré »… mais il faut dire qu’être poète c’est pas un métier, c’est une passion. Moi j’aime bien en
« chier » sur un texte à tire-larigot quoi. Je ne sue jamais quand j’écris un texte, je suis content du piège que me proposent le
mot, la rime. Plus il y a de contraintes, plus c’est agréable, plus ça affirme que notre vocabulaire est riche, et plus on peut
tourner autour. Et puis finalement on est réjoui d’avoir déjoué le piège qu’on nous propose quoi… Moi, ça m’exalte à chaque
fois, mais ça ne me fait jamais suer quoi. Je peux passer des nuits blanches à la recherche d’un mot.
CF : Il y a un aspect, en tous cas complémentaire, pour qui te voit en scène comme c’était le cas aujourd’hui, c’est toute la
gestuelle, toute l’occupation de l’espace, toute la façon dont tu habites tes textes et les musiques. Est ce que par rapport à ça et
à cette mise en forme ( c’est aussi une mise en « formes ») , il y aussi du sens et de la forme je suppose dans cette
« théâtralisation » - je ne sais pas si c’est le mot- .. Est ce que c’est pareil, là aussi, est ce que tu ne « sues » pas, est ce que tu as
des repères, des balises, des références. Comment ça se passe, pour cette mise au point de ce qui accompagne tes textes sur
scène ?
AL : Hummm… Quand j’ai quitté Rouen pour venir à Paris, pour tenter une carrière de chanteur, je ne savais pas trop en
définitive si je devais devenir interprète ou pas interprète, parce que j’étais un piètre interprète. J’étais balourd à dire vrai, et
puis, ben parce que personne précisément ( ou très peu) n’avait répondu aux sollicitations que j’avais propovoquées… je me
suis dit, je vais chanter mes chansons. Et puis ça a été un long apprentissage de bides, d’acceptation des bides, parce que c’est
douloureux. Et puis maintenant j’en suis très fier, et très content de tous ces bides. J’ai appris que les mains pouvaient chanter
aussi, j’ai toujours naturellement parlé avec les mains quoi, agité les mains. J’ai rarement vu de chanteur vrai, je veux dire sur
scène , en réel, car je ne vais pas tellement aux spectacles., et je n’ai pas vu les grands dont on parle des mains, mais je les ai vu
un petit peu « en films ». J’ai vu Caussimon , comme me dit Fabrice là, y’a Piaf, qui avec ses mains meurtries balayait très
très peu d’espace et se baladait dans un espace de 30 cm2 quoi, et ça bougeait très, très peu. Y’a Brel qui avait des bras comme
tout le monde et qui… on avait l’impression qu’il avait des mains de 2 mètres. Y’avait Brassens, qui ne bougeait pas du tout,
mais dont le regard suffisait à tout ! Il y a, en tous cas, quand on fait ce métier là et qu’on a la prétention de s’adresser aux
autres, de proposer quelque chose aux autres, une volonté certaine qui est de dire « Il faut mettre en espace, il faut proposer en
plus de la chanson, il faut « justifier » la place sur scène, et par là même, les regarder, s’adresser à eux. Mais ce serait la même
chose d’un professeur, ce serait la même chose de tout le monde en définitive… De justifier sa parole, non pas ses certitudes,
mais sa parole… Je me suis posé un peu la question « Qu’est ce que je fous sur scène, quoi ! et qu’est ce que je vais foutre de
mes mains ». Mes mains, elles sont là sur scène, comme mes pieds, comme mes yeux et comme tout ça… Qu’est ce que je leur
propose ? Pas simplement les textes, bon les musiciens sont là derrière, ils assurent.. et mes mains il faut qu’elles soient là
« naturellement ». Et il faut qu’elles bougent, ils faut qu’elles magnifient les mots, il faut qu’elles les diminuent, il ne faut pas
qu’elles les accompagnent… il faut danser avec quoi… C’est naturel. .. …/////
……/ …. Je n’ai pas eu la chance de faire du théâtre, Fabrice il en a fait… Je ne suis pas doué.. j’ai fait des tentatives dans le
théâtre, on me reconnaît des qualités d’interprète en matière de chanson, et chaque fois que j’ai fait des tentatives de « lire » des
textes, d’en écrire et d’interpréter la prose que j’avais écrite, on m’a dit « T’es très mauvais ». Et j’étais très mauvais en fait ! La
chanson c’est finalement une somme de « pas savoir faire » quoi. On n’est jamais Beethowen, on n’est jamais Hugo, on n’est
jamais Vilar, mais la somme de tous ces non-savoir-faire, ça donne un chanteur : un bâtard quoi !
CF : Et la filiation avec Brel ? On en parle souvent, on te l’attribue souvent, qu’est ce que tu en penses toi ?
AL : Ben je trouve ça.. si je te disais oui, ça voudrait dire que j’ai une tentation d’imiter, et je ne refuserais pas , parce que je pense
que la chanson évolue tout le temps. De même que Trenet disait qu’il devait beaucoup à Mayol, Brassens disait qu’il devait
beaucoup à Trenet, et Higelin qu’il devait beaucoup à Trenet et Brassens, et Fersen doit beaucoup à Higelin.. et les jeunes qui
poussent aujourd’hui devront beaucoup à Fersen ou d’autres. Moi je pense que la chanson, elle n’avance que comme ça. Et moi je
suis d’une génération qui a effectivement été baignée par Brassens, Ferré, Brel, et puis par des chanteuses aussi, beaucoup, par
Barbara aussi, qu’il ne faut pas oublier parmi les capés. Mais aussi, on est né dans une époque où tout commençait à bouger,
c’était le twist aussi qui commençait à démarrer, et à la maison, mes parents en écoutaient , ils étaient très éclectiques, ils
écoutaient un peu de tout ça. Donc il y avait cette chanson, sûre, certaine, extraordinaire, et puis tout qui commençait à bouger,
l’anglo-saxon qui débarquait, et puis les copains, avec l’arrivée de cas à part, l’arrivée d’Higelin, l’arrivée de tous ces mecs là,
moi je ne comprenais rien.


 

 



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