Stéphane Rio


 

MES ANNEES AVEC ALLAIN LEPREST (2016)
Au début des années 1980 près de Rouen
Par Stéphane RIO
 
 
PREAMBULE
Nous sommes au début de l’année 2016. Allain est parti déjà depuis plusieurs années. Il a pris sa Liberté. La dernière des Libertés.
Là-bas à Antraigues… pas loin de chez moi puisque Odile et moi avons  une maison en Haute-Loire à une soixantaine de Km, sur le chemin qui va à Saint-Jacques de Compostelle, à la fin de la première étape pour les randonneurs. Il n’a jamais su que se rendant en Ardèche chez Ferrat que la personne qui avait pris la décision de faire goudronner ces routes ardéchoises était mon beau-père.
Je le dis d’emblée ! Allain et moi n’avons jamais été Amis… à l’inverse beaucoup ont prétendu l’être : certains  ne l’ont jamais été.
Par contre, un grand respect nous a toujours réunis pendant ces années-là.
Il savait et a très vite compris que je n’étais avec Lui qu’un moment de vie : des moments de musique.
Je sortais mes saxophones : je jouais et nous partagions la façon de créer une chanson. Je rangeais mes saxophones. Avec Lui, il y avait l’Alto et le Soprano : les 2 saxophones que j’ai toujours préférés. Mes saxophones dans leur étui, d’autres horizons musicaux me faisaient « oublier » Allain.
J’étais à l’époque -désormais heureux retraité-  professeur de musique au collège Diderot de Petit-Quevilly et un peu plus tard  en lycée sur la rive gauche où je préparais les élèves à passer l’épreuve de musique au baccalauréat. Souvent, je rejoignais aussi mes élèves de saxophone dans les  écoles de musique où j’enseignais. Un peu plus tard, j’aurai des responsabilités à l’Inspection académique. Je ne ménageais pas mes heures.
J’étais très sollicité et avais même refusé à la Ville de Rouen la proposition de fédérer la mise en place de cours en direction des très jeunes enfants.
Je refuserai aussi la Direction de l’école de musique de Petit-Quevilly.
J’allais aussi régulièrement à l’Institut de pédagogie musicale à la cité de la musique à la Villette, à Paris.
 Une carrière dans laquelle Allain n’avait pas une très grande place.
J’écrivais aussi des musiques (je n’ai jamais composé … seuls Bach, Mozart, Beethoven, Mahler et quelques autres ont composé à mon avis) pour la scène : en particulier pour le théâtre Gorki, pour le théâtre de l’Ecart de mon ami Claude Soloy. Et aussi pour moi. J’avais la possibilité de les faire jouer ou entendre dans quelques coins de France… J’allais régulièrement dans le Sud-Ouest car j’avais des commandes du Chœur Expression de la ville d’Agen.  A Toulouse, à Vaison la Romaine…
Une carrière dans laquelle Allain n’avait pas une très grande place… Donc !!!
Mais cette place a été formidable. FORMIDABLE !!!
J’écris aussi car en allant sur des sites « internet » je-nous ! Car je ne suis pas le seul- découvre que la période « rouennaise » d’Allain a été souvent sinon occultée, tout au moins escamotée et avec pas mal d’inexactitudes. Considérer également des propos venant de gens n’ayant à cette époque jamais approché Allain comme ils voudraient qu’on en convienne… Remarquer  aussi que certains ont pu s’attribuer  des musiques qu’ils n’ont jamais faites… Réalité humaine.
Allain ne déclarant pas ou alors le faisant de façon très épisodique les chansons à la SACEM. Je ne parle pas nécessairement pour moi. J’ai fait la plupart des arrangements de ses chansons. Pas toujours seul, car à cette époque cela se faisait aussi collectivement avec Manuel et Fabrice.
Je parlais de cela encore cet après-midi pluvieux de début janvier avec Henry Dubos à qui Allain doit énormément. Henry, le véritable compositeur de la chanson La retraite
Ce, dès que Allain est monté à Paris. Nous sommes même passés pour des incompétents ; je peux écrire des NULS : éternelle suffisance parisienne qui ne cherche même pas à savoir…
Triste réalité de ce milieu.
J’ai eu de très belles années avec Allain. Oui ! Très belles ! Quand l’aventure a posé les valises, je n’ai pas eu de regret. Et aucune amertume. Il fallait passer à autre chose.
Mon intérêt allait vers la Musique assistée par ordinateur. Avec une vingtaine de collègues  de l’Education nationale, en stage national dans le sud-ouest et ses attraits culinaires nous allions devenir les pionniers et découvrions le fameux logiciel CUBASE… en essayant d’en faire profiter des collègues de retour dans notre académie.
Je m’en servirai pour mes cours et pour moi. Faire une musique pour une exposition  sur la préhistoire soutenue par Yves Coppens. Cette même musique reprise au Museum de Rouen puis « en tournée » en France et finissant par aboutir au Musée de l’Homme et accompagnement  de diaporamas au musée national de la Préhistoire.
Je serai aussi sollicité pour « siéger » à la commission culturelle de l’agglomération rouennaise
Une carrière dans laquelle Allain n’avait plus sa place…
J’ai été un peu long en préambule car je voulais « poser les choses ».
Je n’avais pas besoin d’Allain pour « faire » de la musique. Il le savait.
Avait-il vraiment besoin de moi ? Ce n’est pas si sûr. Et ce serait fichtrement prétentieux de l’envisager ainsi !
L’avoir rencontré a été forcément quelque chose d’exceptionnel. Mais j’ai eu d’autres rencontres dans ma vie de musicien aussi exceptionnelles… Autre chapitre musical de mon histoire…
Ainsi est allée la vie…
Puis Marc Legras qui a écrit un livre magnifique sur Allain est venu chez moi. Forcément les souvenirs sont revenus. Une époque pas tant oubliée.
Marc a fait remonter tout cela en moi.   
J’espère que la mémoire saura maitriser les évènements et sans doute aussi les émotions… au cas où, me restent des documents pour vérifier…
J’ai décidé de vous faire partager cela.
 
 
LA RENCONTRE
Nous sommes donc en 1980/81 : les dates précises ne reviennent pas toujours aisément. Je commence à connaitre un petit peu le théâtre Maxime Gorki situé à Petit-Quevilly qui deviendra une Scène nationale. Plus tard je deviendrai membre à part pas toujours entière de son conseil d’administration car les revues comptables ne m’intéressaient pas du tout !
J’avais commencé à prendre quelques habitudes avec Gorki.  Je connaissais de mieux en mieux Jean Joulin et Daniel Lesur, les 2 Directeurs et co-fondateurs du lieu. Deux Hommes de passion, de grande culture également. Beaucoup leur doivent énormément. Je fais partie de ceux-là. Je commençais à travailler avec Daniel… c’est encore le cas. Mon collège avait une relation privilégiée avec Gorki.
Petit à petit, j’allais participer à des projets. J’ai étrenné cela en m’occupant de la partie musicale du Georges Dandin de Molière, mis en scène par Daniel.
Un jour, Jean m’a demandé de le rencontrer. Cela n’a pas duré très longtemps. Je résume la tenue des propos :
« -On a un poète chanteur qui veut repartir sur de nouvelles bases. On pense qu’il a un talent rare mais au niveau musical, ce n’est pas ça du tout. On a pensé à Toi. En plus tu pourrais aider à ses accompagnements au saxophone. Peut-on organiser une rencontre ?
-Oui, Jean. Pourquoi pas ? »
Honnêtement, je n’ai pas bondi de joie. Je me demandais plutôt à quel moment nous pourrions convenir d’un rendez-vous.
Celui-ci eut lieu un midi, un lundi : je m’en souviens très bien. Quel mois ? Je ne sais plus.
Dans un restaurant d’ouvriers sur la contre-allée de l’avenue allant vers Petit-Quevilly. Je crois me souvenir qu’à cette époque un autopont très laid traversait le carrefour.
J’ai rencontré Allain. Ce qui m’a frappé, c’était son manque d’assurance, sa timidité. Il savait pourquoi nous nous rencontrions. Il savait que je n’allais pas forcément poursuivre notre rencontre.
Rencontre improbable entre lui et moi.
Lui au parcours l’ayant mené à un CAP de peintre en lettres. Là, maintenant adulte avec l’espoir de percer dans ce milieu. Tout à faire.
Moi avec mes diplômes de Conservatoire, ayant travaillé les concertos les plus difficiles au saxophone. Ayant fait Musicologie et –c’est moins connu- Histoire de l’Art et Archéologie en Sorbonne, devenu prof …mai déjà catalogué comme atypique et peu classique… bien qu’ayant connu une formation uniquement classique. Une vie musicale bien entamée.
Différence de milieu social : ce qui ne veut pas dire grand-chose en fait ! Lui, enfant d’ouvriers avec tout le respect de cette condition. Vivant avec Sally, jeune femme venue de son Afrique Noire.
Moi, vivant avec Odile, tous les 2 aux parcours universitaires et enfants de fonctionnaires qu’on dit « hauts ».
J’ai écouté Allain. Je ne sais pas si le courant est passé. Ce fut très sérieux.
Il fut décidé de se revoir. D’essayer voir et entendre. Ecouter l’autre.
Marie la Rouge allait être notre première vie ensemble.
 
 
MARIE LA ROUGE
Pour la première fois, je voyais l’écriture d’Allain. Une écriture un peu sèche, un peu nerveuse mais sûre comme je le verrai par la suite.
J’ai perdu le texte : « brouillon d’âme » comme dit Marc Legras.
« Marie la Folle aux cheveux rouges se promène sur la jetée des bateaux… »
Do do do do do do si la   la la la la la do la sol sol fa mi.
Ce n’était pas en UT, mais plein de dièses à écrire autrement !
Tempo assez rapide et rythmique un peu échevelée.
Le « parler-chanter » que Henry Dubos lui avait fait travailler.
Allain avec sa guitare, sa voix que je n’avais jamais entendue et mon saxophone Alto.
Drôle d’accompagnement : une guitare pas sonorisée avec un saxophone !
Tout ça, dans le foyer de Gorki, la petite salle du bas, un lundi entre midi et deux !
Et là !!! Le choc !!! LE CHOC !!!
Une voix, une expression, une force !!! Des mots !!! Alors que beaucoup savent mon peu d’intérêt, voire mon aversion pour la poésie…
IMPRESSIONNANT !!!
Au fur et à mesure du déroulement du  texte -j’écoutais- je pensais à ce que j’allais mettre là-dessus.
C’est venu tout seul. Une liberté et une aisance pour moi que je n’aurais jamais soupçonnées.
C’était parti.
UN AUTRE MONDE !!!
Le soir je me souviens avoir dit à Odile un truc du genre.
« Ce mec-là, il a un talent fou ! Mais musicalement il est nul ! Tout à reprendre ! »
Cette phrase était très respectueuse : l’envie d’aller vers son talent.

 
 



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