21 août 1999, Allain Leprest sur la scène du Festival Darc à Chateauroux et est interviewé en coulisses ... Ecrire ... comme on travaille le bois ...
Dans la nuit du 21 au 22 avril 2001, après son concert au théâtre Jean Vilar, a Allain Leprest s'entretient avec Claude Figara pour Radio-Clapas (Montpellier). Le poète y parle d'écriture, de poésie de chanson ..... Il revient sur des textes de jeunesse qu'il lit, l'un en intégral (texte ici), l'autre un extrait .... et il porte un regard, parfois très critique, sur ces premiers textes. Julien Heurtebise, son compagnon musicien des débuts, est là aussi, pour apporter son propre point de vue, pour nuancer musicalement les mots du poète.
Aux funérailles au funambule… C'était un papier 21x29,7. -Tiens, dit-il, j'ai écrit ça en t'écoutant… Il l'avait griffonné dans le noir, avec l'aide intermittente de la lumière de scène, pendant que je chantais. Ca, se passait au Forum Léo Ferré, en janvier 2005. Nous trinquâmes et j'emportai le papier. Rentré chez moi, je m'aperçus qu'il y avait là, raturé, en désordre, pas terminé, tout le génie de Leprest. Je ne fis pas alors attention à ce détail qui aujourd'hui m'enchante : chacun viendra poser sa plule, qui rime avec funambule. L'avait-il fait exprès ? Je veux désormais le croire. Surtout : je suis persuadé, depuis ce soir-là, qu'en écrivant tandis que je chantais, Leprest se racontait à lui-même son histoire. J'ai souvenir de l'avoir rencontré pour la première fois dans une boîte à chanson de Tours, avec Gérard Pierron - dont il était un ami proche. Nous nous sommes croisés une dizaine de fois, nous n'étions pas intimes, mais nos rapports étaient cordiaux et je savais son talent. Il allait d'opération en résurrection. On n'y croyait plus, il revenait toujours. Nous nous étions trouvés voisins pour une signature, à Randan, et il était venu m'écouter ce soir-là à St-Bonnet… J'étais allé l'écouter à Château-Gontier. Un matin, à Barjac, quelqu'un m'interpelle tandis que je passe sur la place : Leprest attablé à une terrasse…
Aux funérailles au funambule
Paroles : Allain Leprest et Jacques Bertin ; (en romain : Leprest ; en italiques : les ajouts de Bertin…)
Aux funérailles au funambule chacun viendra poser l'enclume / la plule le pape apportera sa bulle et malgré la grève du rail
si près du cyprès et de l'onde chacun viendra asseoir son monde et boire à cet enfant trop beau tombé de haut
chacun viendra lever son verre à nos amitiés libertaires aux étoiles qui vont se taire dans la main du grand diamantaire
à toutes ces notes futiles à nos ardoises sur nos tuiles à nos comment et nos faut-il écrire la chanson de plus ?
qui crie au fond de l'autobus et aux verres trop vite bus aux amitiés trop vite lues aux rythmes trop vite perdus
à la prochaine mon amour à toi seule dont les doigts courent sur mon ardoise chaque jour à la proche haine à toujours
je cache en mes doigts consumés un âcre parfum de fumée dans les ruines du verbe aimer une ultime rime à " toujours "
à nos amours à la prochaine la proche haine mon amour la proche haine où sont semées nos plumes nos belles années
à tous les mots durs à manier au malheur qu'on n'a pas volé ! la beauté qui nous a brûlés et à nos amours mon amour
or, voyez : c'est son meilleur tour quand il tombe au milieu de vous le funambule il est pas fou il a très bien choisi son jour
est-il mort ? non : il dort il tremble dans son sommeil il parle il semble il dit : si nous restions ensemble ici, amis, j'y voudrais mourir pour toujours !
musique : Jacques Bertin (sur CD-Velen : No surrender)
H. H. : C'est très très intéressant ! On a essayé une fois d'écrire une chanson, mais on a jamais réussi à rien ensemble, mais j'ai vu comment il faisait des cases dans lesquelles il mettait des mots. C'est très intéressant sa technique d'écriture.
L. L. : Bah voilà justement encore ... A partir du moment où on tient à garder une émotion intacte, bah en se mettant des batons dans les roues, en s'obligeant à tordre les mots pour garder le sens parce qu'on a imposé des formes et des mots à certains endroits, on arrive à quelque chose de plus étonnant, qui est moins donneur de leçons finalement. C'est pour ça qu'Allain, c'était des images foudroyantes aussi parce qu'il s'imposait le fait de retomber sur ses pattes après des audaces. Et c'est vrai que c'était assez rigolo. On avait des fois l'impression que c'était un puzzle un brouillon de Leprest.
H. H. : En fait, il faut prendre des risques si on veut gagner à la fin. Faut prendre beaucoup de risques.
L. L. : Parce qu'il faut maltraiter la forme, et maintenir le sens et l'émotion contre vents et marées, sauf que la tempête, c'est nous même qui devont nous l'imposer. Alors on se met des batons dans les roues, et au résultat, moi j'trouve ça plus simple, et en tout cas, c'est plus étonnant !