Gaston Couté est le fils d'un meunier. Avant le baccalauréat, il quitte l'école, qu'il détestait. Il est employé comme commis auxiliaire à la Recette générale des impôts d'Orléans, puis travaille pour un journal local, Le Progrès du Loiret. Il commence à publier ses poèmes, dont certains sont composés en patois beauceron, dans des feuilles locales. Il a l'occasion de les faire entendre à une troupe d'artistes parisiens en tournée. Ayant reçu quelques encouragements, il se décide, en 1898, à monter à Paris. Il a dix-huit ans. Après quelques années de vaches très maigres, il obtient un certain succès dans les cabarets. Il collabore à la revue La Bonne Chanson de Théodore Botrel. Le chansonnier et poète Jehan-Rictus qui avait fondé sa poésie sur l'usage de la langue argotique, fut sensible à son talent et dit de lui : « ... Georges Oble et moi, nous nous trouvions incontestablement en présence d'un adolescent de génie qui, à ses dons extraordinaires, joignait déjà une technique des plus habiles et la connaissance approfondie du métier... » La fin de sa vie allait lui être difficile : la tuberculose, l'absinthe, la privation... Il meurt vingt-quatre heures après avoir été conduit à l'hôpital Lariboisière.
Gérard Pierron le papa de François Pierron, fait partie des interprètes de Gaston Couté à avoir repris son répertoire, lui consacrant ses deux premiers albums.
Gérard Pierron chante "les oies inquiètes"
Les oies qui traînent dans le bourg Ainsi que des commères grasses Colportant les potins du jour, En troupeaux inquiets s'amassent. Un gros jars qui marche devant Allonge son cou dans la brume Et frissonne au souffle du vent De Noël qui gonfle ses plumes...
Noël ! Noël ! Noël ! Noël ! Est-ce au ciel, neige folle Qui dégringole, Ou fin duvet d'oie Qui vole.
Leur petit œil rond hébété A beau s'ouvrir sans trop comprendre Sur la très blanche immensité D'où le bon Noël va descendre, A la tournure du ciel froid, Aux allures des gens qui causent, Les oies sentent, pleines d'effroi, Qu'il doit se passer quelque chose.
Les flocons pâles de Noël - Papillons de l'Hiver qui trônent Comme des présages cruels - S'agitent devant leur bec jaune, Et, sous leur plume, un frisson court Qui, jusque dans leur chair se coule. L'heure n'est guère aux calembours, Mais les oies ont la chair de poule.
Crrr !... De grands cris montent parmi L'aube de Noël qui rougeoie Comme une Saint-Barthélemy Ensanglantée du sang des oies ; Et, maintenant qu'aux poulaillers Les hommes ont fini leurs crimes, Les femmes sur leurs devanciers Dépouillent les corps des victimes
Comme la mauvaise herbe qu’on arrache, qu’on fauche, qu’on empoisonne mais qui repousse, libre et indisciplinée, belle et forcément rebelle. Chaque vent de révolte le rend même plus actuel encore… La vie de Couté se niche entre deux guerres, celle de 1870 dont on rumine encore la défaite, celle de 14-18 qui se prépare. Lui n’aura de cesse de fustiger la guerre, et la bêtise, et le conformisme bourgeois. Fils d’un meunier, notre chansonnier est né dans le grenier à blé qu’est la Beauce. Préférant les rimes au latin, il délaisse le lycée et un futur de fonctionnaire des finances pour une feuille de chou locale qui publie ses premiers poèmes ; c’est dans la Capitale qu’on le retrouve, dès 1898, alors que se parents le croient lancé dans une carrière en chemise blanche repassée et cravate bien nouée, respectable. La réalité est toute autre.
Il est venu à la grand’ville, avec cent francs en poche et le reste en pur talent, y faire montre de son art. La bohème est sœur de misère et Couté débute une vie d’errance « sous la neige et sous la pluie, sans chaussures et sans presque de vêtements. » A son arrivée, il n’a comme salaire qu’un café-crème pour réciter ses poèmes. C’est parti pour treize ans de vaches maigres même si, étrange paradoxe, il devient populaire, hantant de sa voix et de ses mots les cabarets à la mode, à Montmartre, aussi sûrement qu’il l’est à Belleville, à y déclamer ses vers aux ouvriers. Couté meurt de misère, de maladies et de trop d’absinthe le 28 juin 1911. Il est inhumé à Meung-sur-Loire, là où une partie du musée municipal lui est désormais consacrée.
La SACEM a perdu son dossier
Poète maudit, Gaston Couté ? Oui… et non. La reconnaissance ira crescendo. Dès 1928, un premier recueil (« La chanson d’un gars qu’a mal tourné ») paraît chez Eugène Rey, éditeur à Paris ; le second tome neuf ans plus tard. Après long oubli, et la guerre, la Société des Amis du livre publie à son tour un recueil. Les années soixante en verront la parution d’autres avant que les éditions Le vent du Ch’min s’attellent, en 1976, à publier l’intégrale Couté, elle-aussi sous le titre « La chanson d’un gars qu’a mal tourné », travail de titan en vérité car les textes du poète-paysan sont éparpillés, volatilisés même. A la Sacem, on a perdu son dossier, comme s’il n’avait jamais existé.
La chanson va pareillement. Dès l’avènement du disque, du vivant de Couté, Mayol immortalise « Le gâs qu’a perdu l’esprit ». De 1929 à 1934, d’autres chansons se gravent, par divers interprètes, principalement « La petite Julie » et « Va danser », qu’Edith Piaf reprendra à son tour en 36... C’est avec les seuls anars que sont Ferré et Couté que Lavilliers entamera une carrière au national, dès 1966, dans les cabarets du quartier Mouffetard, où les textes de Gaston Couté trouvent souvent place dans le répertoire des postulants chanteurs. Coluche, chanteur avant d’être humoriste, entonna pareillement les vers du gâs qu’a mal tourné. Une poésie immédiate
Couté ignoré, mais paradoxalement loin d’être absent, comme le feu qui couve sous de rares braises. La « redécouverte » du poète beauceron vient en 1976, par l’édition et par la chanson. C’est le choc conjugué d’un acteur, Bernard Meulien, et d’un ancien ouvrier, Gérard Pierron, qui unissent leur voix sur un 33 tours d’anthologie et exhument à nouveau le bonhomme. Meulien sortira trois autres albums, Pierron plus encore et tous deux n’en finissent pas de chanter les mots de Couté. Des voix se sont additionnées depuis : Vania Adrien-Sens, Marc Robine, Marc Ogeret, Bruno Daraquy, Laurent Berger, Monique Tréhard, Pierrot Noir, Entre 2 Caisses, Gabriel Yacoub, Le P’tit crème et bien d’autres encore. La Sacem a dû rouvrir un dossier… Couté est l’un des auteurs le plus repris de nos jours, à la marge certes mais loin, très loin de l’anonymat où la « culture officielle » l’avait assigné.
Pourquoi donc des vers au mieux centenaires nous parlent-ils donc tant ? Rarement un auteur, poète de surcroît, n’a écrit si juste. Sur la société et ses codes, sur les institutions, sur le pouvoir, ceux qui possèdent, sur ceux qui n’ont rien. Sur l’injustice, le nationalisme, l’hypocrisie… Les fondamentaux de notre société sont restés les mêmes ; en certains aspects ils se sont même dégradés : les mots de Couté, tout boueux qu’ils puissent paraître de prime abord, ne disent pas autre chose que notre monde, qui plus est dans une poésie immédiate, presque physique, loin de toute suspecte académie. Seul Brassens a su parler pareillement : actuels hier, aujourd’hui comme demain, tous deux sont promis à l’éternité.
Loïc Lantoine aussi fait connaître son répertoire. Il chante "Jour de lessive" sur "Badaboum", et est invité sur l'album d'Al Delort pour revisiter le texte sur une nouvelle musique.
Jour de lessive (sur l'album "tout est calme", sur le live "A l'attaque" et en guest sur l'album "Convoi exeptionnel"d'Al)
Je suis parti ce matin même Encore saoul de la nuit mais pris Comme d'écœurement suprême Crachant mes adieux à paris Et me voilà ma bonne femme Oui foutu comme quatre sous Mon linge est sale aussi mon âme Me voilà chez nous
Ma pauvre mère est en lessive Maman maman Maman ton mauvais gâs arrive Au bon moment
Voici ce linge où goutta maintes Et maintes fois un vin amer Où des garces aux lèvres peintes Ont torché leurs bouches d'enfer Et voici mon âme plus grise Des mêmes souillures – hélas ! Que le plastron de ma chemise Gris, rose et lilas
Au fond du cuvier où l'on sème Parmi l'eau la cendre du four Que tout mon linge de bohême Repose durant tout un jour Et qu'enfin mon âme, pareille À ce déballage attristant Parmi ton âme - ô bonne vieille Repose un instant
Tout comme le linge confie Sa honte à la douceur de l'eau Quand je t'aurai conté ma vie Malheureuse d'affreux salaud Ainsi qu'on rince à la fontaine Le linge au sortir du cuvier Mère, arrose mon âme en peine D’un peu de pitié
Et lorsque tu viendras étendre Le linge d'iris parfumé Tout blanc parmi la blancheur tendre De la haie où fleurit le mai Je veux voir mon âme encore pure En dépit de son long sommeil Dans la douleur et dans l'ordure Revivre au soleil
Mai 2011: Rencontre avec Loïc Lantoine (Thou'chant) - extrait Hier, durant le spectacle, peut-être parce que c’était la deuxième ou troisième chanson qui se situait dans un bar, je t’ai vraiment vu là au croisement de Couté, de Dimey et de Leprest…
« Ce ne sont que des belles références, alors je ne sais pas quoi dire… (et, prenant une voix très pompeuse : ) Oui, effectivement, je trouve que je suis à la quintessence de ces trois (rires). Tu sais bien, on a des références communes. Ce sont des références fortes. C’est rigolo, parce que Dimey c’est ma découverte de la chanson, dans un petit bistrot à Wasem, à Lille, avec des gens qui animent des bistrots et m’ont fait découvrir la chanson. Un monsieur qui s’appelle Gérard Busine : grâce à lui, j’ai découvert Bernard Dimey. Gaston Couté, lui, c’est important pour moi, parce que Gérard Pierron, le père de François et repreneur de Couté, c’est aussi lui qui a mis le pied à l’étrier d’Allain Leprest, qui est pour moi la référence ultime. Allain, c’est le mec qui m’a poussé à faire ce boulot-là, alors que je faisais le zouave. »
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C’est cette année le centaine anniversaire de la mort de Couté. Il y a vraiment une filiation dans ton art et le sien, à ce que j’en sais du sien.
« Oh, je n’en sais que ses textes, supers, et ce qu’on m’a pu m’en dire. Moi, quand je rentre à Lille, j’y vais pas en sabots à travers champs. J’ai un camion pour rentrer à la maison. C’est quelqu’un qui a écrit des textes fabuleux, Si c’est quelqu’un qui a voulu de se faire comprendre avant de se faire mousser, d’accord… je ne sais pas, en tous cas c’est quelqu’un qui a écrit superbement. Je n’essaye pas de me comparer avec ses gens-là, des gens que j’aime et que je chante. »